Dans une autre vie, j’ai travaillé comme correctrice au très ésotérique ministère de l’Éducation. Correctrice des épreuves de français de cinquième secondaire, pendant quelques étés, rue Fullum, dans l’est de la ville. Puis, correctrice des examens au collégial, pendant très peu de temps, dans le sous-sol d’un ancien COFI de Parc-Extension. Jusqu’au jour où j’ai pris mes cliques, mes claques et mes dictionnaires pour me sauver par la porte de sortie du journalisme.
Les souvenirs de ces voyages dans le monde secret des très égalitaristes fonctionnaires de l’Éducation me reviennent chaque fois que je lis des aberrations comme celles dont faisait état Le Devoir hier. Quoi de neuf, donc, au ministère de l’Éducation ? Eh bien, selon un expert mandaté par le MEQ, il faudrait cesser de compter le nombre de fautes à l’épreuve de français au collégial. Car, voyez-vous, l’approche quantitative, punitive et judéo-chrétienne fait en sorte que l’évaluateur, ce grand méchant tortionnaire devant l’Éternel, s’intéresse davantage aux faiblesses de l’élève, alors qu’il devrait plutôt s’intéresser à ses forces. C’est pourquoi, comprenez-vous, il faudrait préconiser une approche qualitative, dite « holistique », histoire de valoriser ce qui est réussi plutôt que de mesurer ce qui est raté... Parce que, voyez-vous, si on dit qu’il y a une erreur, cela sous-entend qu’il existe une norme « divine ». Et qu’est-ce qu’une norme, hein ? N’est-ce pas une source d’injustice, si on y pense ? Car la norme idéale ne se manifeste jamais également d’une copie à l’autre. Alors qu’est-ce qui nous assure qu’une quantité de fautes ou de « non-fautes » témoigne bel et bien d’une maîtrise de la langue ? Rien de rien, nous dit le vénéré expert.
Quoi de neuf, donc, dans le monde égalitariste du ministère de l’Éducation ? Pas grand-chose. Cette approche débilitante de la pédagogie selon laquelle tous les élèves naissent bons jusqu’à ce que le correcteur les corrompe, a toujours eu une place prépondérante chez nos fonctionnaires. À l’époque de mon voyage ésotérique, on nous faisait bien comprendre que le correcteur avait intérêt à être le plus généreux possible. S’il avait le malheur d’être « sévère », c’est-à-dire « juste » selon mes misérables normes judéo-chrétiennes, il se faisait rappeler à l’ordre. On corrigeait le correcteur trop consciencieux. On lui apprenait à déchiffrer des arguments sans queue ni tête. On lui apprenait à créer de la cohérence là où il n’y en avait pas. On lui apprenait à deviner grâce à la boule de cristal des fonctionnaires de l’Éducation ce que l’élève « essayait de dire ». Parce que le « pauvre p’tit », il fallait bien l’aider... Ce n’est pas ce qu’il voulait dire. Alors, s’il a écrit : « Premièrement, tout le monde est égal, même les inférieurs », est-ce que ça compte pour un argument ? Mais oui, voyons ! Parce que le correcteur doit voir au-delà des mots maladroitement alignés...
Comme on ne pouvait fermer les yeux sur les fautes d’orthographe ou de syntaxe, on se rattrapait ainsi en étant plus généreux dans l’évaluation du fond. Une entreprise absurde d’aveuglement volontaire devant un système qui produit encore une quantité sidérante de quasi-illettrés.
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