Le savoir-faire
Pierre Foglia
La Presse
Le jeudi 14 juin 2007
Fini les fautes de français au cégep? C'était la manchette du Devoir il y a une semaine. Le ramdam que ça a fait! Et puis plus rien. C'est comme ça que ça marche depuis le début. Il n'y a jamais eu de débat public sur la réforme. Que des orages. Un gros nuage noir apparaît soudain, ça tonne de partout, les éclairs, la foudre fait une victime plus ou moins innocente et puis c'est fini. Un beau ciel bleu. La réforme, imperturbable, continue.
Le PQ a toujours été pour la réforme. S'il ne l'a pas complètement inspirée, il l'a soutenue, défendue, imposée quand il était au pouvoir. Je crois même qu'il la revendique comme un fleuron de la social-démocratie.
Les libéraux étaient très en faveur aussi jusqu'à tout récemment, précisément jusqu'à ce que Mario Dumont soit contre, sauf que M. Dumont n'est pas vraiment contre, il putasse comme pour le reste, il flatte le peuple dans le sens du poil. Le peuple veut des bulletins chiffrés? Mario aussi. En se contre-crissant bien entendu de ce que l'on chiffre.
Les journalistes? Ils sont plutôt contre, encore que les gourous des sciences de l'éducation (particulièrement ceux de l'UQAM) ne perdent jamais une occasion de leur poser la question qui leur cloue le bec: que savez-vous du socio-constructivisme, monsieur le chroniqueur? Et je ne dirai rien de Radio-Canada où, l'automne dernier, tel que rapporté par ma consoeur Michèle Ouimet, un rédacteur en chef dont l'épouse travaille au ministère de l'Éducation a invité ses journalistes à des séances d'information pro-réforme.
Bref, à partir de la rentrée, le SAVOIR-FAIRE de votre enfant sera chiffré, 75% au lieu de B. Êtes-vous content? Tant mieux. Mais Dieu qu'on est loin des questions fondamentales qu'on aurait dû poser à l'ensemble des citoyens avant d'imposer cette réforme. Êtes-vous d'accord pour que vos enfants aillent à l'école pour faire l'acquisition d'un savoir-faire (les fameuses compétences) plutôt que des savoirs tout courts? C'est une des questions fondamentales qu'on ne vous a jamais posées. On a décidé pour vous. On a décidé que ce serait trop long de vous expliquer les dernières avancées de la pédagogie. En réalité, les gens des sciences de l'éducation avaient très peur que vous disiez non, fait qu'on a fait comme d'habitude: on vous a raconté n'importe quoi pour emporter votre adhésion.
Un exemple de salade qu'on vous a vendue? Le projet d'apprentissage. Au lieu d'acquérir des savoirs dans l'abstraction du «par coeur», mettons la table des neuf, 9X4, 9X9, l'acquisition de ce savoir s'insère désormais, oh! merveille, dans un projet d'apprentissage. Projet abordé en équipe. On leur donne un truc à faire, pour faire ce truc les enfants doivent mesurer un machin, à un m'ment donné il va falloir diviser ce machin en sept, sauf qu'ils ne savent pas diviser par sept. Madame, comment on fait pour diviser par sept? Ah! ah! c'est là que la réforme les attendait au tournant, et c'est là aussi que les anti-réforme comme moi sont pleins de marde! Mais oui les enfants acquièrent des savoirs, mais dans l'allégresse de la pratique plutôt que dans l'obligation du par coeur... Sans doute le plus grand classique de la bullshit «constructiviste».
Dans la réalité? Dans la réalité, le niveau baisse dans des classes de plus en plus pleines et de plus en plus dérangées par des «cas». Ça aussi, c'est la réforme: l'intégration des cas.
Dans la réalité, le niveau baisse plus dramatiquement encore chez les profs que chez les élèves. Cela se comprend, les nouveaux maîtres sortent du creuset même de la réforme, premiers bénéficiaires de cette approche holistique qu'ils vont avoir à appliquer: fermer les yeux sur les faiblesses, mettre en valeur les forces. Ah! ça, pour fermer les yeux sur la faiblesse des nouveaux maîtres...
Mais le scandale, le seul en fait, c'est que cette réforme nous est présentée comme une vérité scientifique, comme la voie obligée, comme LE modèle. Quand un modèle s'établit comme une vérité incontournable, ce n'est plus un modèle, c'est un dogme. J'ai déjà posé la question, j'attends encore qu'on me réponde: pourquoi les parents ne pourraient pas avoir le choix entre une école publique traditionnelle et une école publique réformée, ou alternative?
Vous dites que cela n'a aucun sens? Pourtant, c'était comme ça avant la réforme! Il y avait des écoles publiques «normales» et des écoles publiques alternatives. La réforme a fait qu'il n'y a plus, au Québec, que des écoles alternatives.
De quoi j'me mêle?
Permettez que je vous pose une question qui n'a rien à voir, mais peut-être que si, un peu quand même.
Savez-vous comment on joue aux billes?
Quand on joue au billes, ce qui est en jeu, ce sont les billes elles-mêmes. Quand on joue aux billes, on perd des billes ou on en gagne. Ça n'a aucun sens de jouer aux billes autrement. Les enfants du monde entier jouent aux billes dans la cour des écoles pour gagner des billes qu'ils vont reperdre le lendemain.
Dans une école primaire de ma connaissance (à Saint-Lambert), les enfants ont le droit de jouer aux billes, mais à condition qu'ils récupèrent leur mise. Pas le droit de perdre. Pas le droit de gagner. Pourquoi? Parce que, a expliqué la direction à une mère éberluée: parce que quand certains enfants perdent, ils pleurent.
Tout l'esprit de la réforme est là: empêcher les enfants de perdre.
Alors que, pour moi, un des grands objectifs de l'éducation, sans doute le plus difficile, est justement d'apprendre aux enfants à perdre.
=> Sur le même sujet ici, ici et ici.
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