20070401

Le spectre de la droite

Claude Picher dans La Presse du 31 mars:

Défiant les consignes du Plateau, le monde ordinaire a oser voter ADQ! Du coup, c’est comme si une catastrophe s’est abattue sur le Québec.

Le concert québécois des bonnes âmes n’a pas attendu que la poussière soit retombée sur les résultats électoraux de lundi pour sortir sa litanie de sombres prophéties.

Imaginez: défiant les consignes du Plateau, le monde ordinaire a oser voter ADQ! Du coup, c’est comme si une immense catastrophe s’était abattue sur le Québec.

J’exagère? À peine! Voyons plutôt ces quelques extraits de lettres parues cette semaine dans les pages Forum de La Presse:

«C’est le triomphe du populisme, du simplisme et de la démagogie; je ne croyais pas assister un jour à la résurrection du duplessisme», écrit Michel Lebel.

«Les candidats-vedettes de Mario Dumont aux prochaines élections: Jeff Filion à la Culture, Pierre Mailloux à la Santé et le portefeuille des Finances à Stephen Harper», ajoute Claude Desjardins.

«Adieu système de santé public, CPE, assurance-automobile, assurance-médicaments, et le train de la droite va rouler à toute allure», conclut Lévis Bouchard.

Wo! Wo! Wo! On se calme, s’il-vous-plaît.

Dans un premier temps, on peut comprendre ces cris d’indignation. Libéraux et péquistes ne se sont pas gênés pour décrire Mario Dumont comme un sectaire de droite, voire d’extrême-droite.

La recrue libérale Pierre Arcand l’a même comparé à Jean-Marie Le Pen. Il y a de cela de nombreuses années, j’ai travaillé avec Pierre Arcand; il était mon patron à CKAC. J’ai toujours respecté et admiré sa vivacité d’esprit et son sens aigu de la rigueur professionnelle.

Qu’un homme de cette valeur se soit laissé aller à un tel dérapage démagogique en dit long sur la panique qui a gagné les rangs libéraux en cours de campagne. N’empêche: à force de taper sur la tête de Mario Dumont, les autres partis ont fini par le démoniser aux yeux d’une partie de l’opinion publique, comme en témoignent les citations que l’on vient de voir.

Or, pour qui se donne la peine de se renseigner, Mario Dumont se situe dans une toute autre branche de l’éventail politique.

Si on tient à comparer ses idées à celles de politiciens connus, on pourrait citer, en Allemagne, l’ex-chancelier Gerhardt Schroeder; au Royaume-Uni, le premier ministre Tony Blair; en France, la candidate à la présidence Ségolène Royal ou l’ex-premier ministre Lionel Jospin. Tous ont deux choses en commun:

* Ce sont des socialistes, issus de la plus authentique tradition social-démocrate européenne, dont aiment tant se réclamer les purs et durs de la gauche québécoise;

* Tous les quatre, bien que socialistes, ont fort bien compris que l’État-providence tel qu’on l’a connu depuis trente ans, c’est fini.

Depuis le début des années 90, des changements puissants secouent l’économie mondiale. La concurrence internationale est de plus en plus féroce. Les marchés financiers sont plus volatils et plus tentaculaires que jamais. La révolution technologique a bouleversé nos vies.

Les fusions et acquisitions d’entreprises ont atteint une ampleur sans précédent. Les entraves au commerce disparaissent les unes après les autres. Aux concurrents traditionnels (États-Unis, Japon, Europe) sont venus s’ajouter de nouveaux joueurs redoutables: Chine, Inde, Brésil et des dizaines d’autres.

Le vieillissement démographique affecte tous les pays industrialisés.

Ces changements forcent les gouvernements à repenser le rôle, la taille et le fonctionnement de l’État. Cela passe par des finances publiques plus saines, un contexte réglementaire moins rigide, un cadre fiscal moins lourd, des initiatives pour stimuler la productivité, accroître le rendement des réseaux d’éducation et de santé, offrir de meilleurs services publics à meilleur coût. Les défis sont considérables.

Plusieurs pays ont compris cela, y compris la Suède, les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande et beaucoup d’autres «modèles» sociaux-démocrates, qui ont assoupli leur législation du travail, resserré leurs programmes sociaux, fait appel à l’expertise du secteur privé et allégé leur fiscalité.

Il n’existe pas de formule Rand en Nouvelle-Zélande; il n’existe plus de salaire minimum au Danemark; au Pays-Bas, on ne peut plus dépendre de l’assistance sociale de génération en génération; il existe maintenant des hôpitaux privés en Suède.

La France est très fière, à juste titre, de son superbe réseau d’autoroutes construit et exploité en grande partie en partenariat avec le secteur privé; toujours en France, le système public de santé fait largement appel au privé, qu’il voit comme un partenaire plutôt qu’en ennemi (la France, soit dit en passant, impose aussi un ticket modérateur aux patients).

Tous les milieux de gauche, à travers le monde, sont tombés à bras raccourcis sur les réformes de Margaret Thatcher au Royaume-Uni; pourtant, lorsque le travailliste Tony Blair (les travaillistes britanniques peuvent se comparer à nos néo-démocrates) a été élu, il s’est bien gardé de toucher aux réformes de Mme Thatcher, tout simplement parce que la dame de fer, en dépit de tous les anathèmes et hauts cris de la gauche, a réussi à remettre l’économie britannique sur ses rails.

Il n’y a plus guère qu’au Québec où une poignée d’irréductibles nostalgiques déconnectés refuse d’admettre à quel point le monde a changé autour de nous.

La plate-forme électorale de l’ADQ comporte 86 engagements. Le document démontre une assez nette préoccupation pour l’économie: plus de 40 engagements portent en effet sur la fiscalité, le développement régional, les finances publiques et d’autres enjeux économiques.

Bien sûr, comme toute plate-forme électorale, celle de l’ADQ relève en grande parie du catalogue de bonnes intentions. Mais on y retrouve en filigrane une authentique préoccupation à l’égard de l’avenir économique des Québécois.

Cette inquiétude est fondée: de nombreuses études ont déjà montré à quel point le Québec perd du terrain par rapport à ses voisins, en bonne partie à cause d’un fardeau réglementaire trop lourd, de gains de productivité anémiques, de la faiblesse des investissements privés, d’une fiscalité abusive.

Dans l’esprit de certains, vouloir s’attaquer à tout cela, ce serait de «droite». Moi, je dis plutôt que vouloir remettre le Québec sur le chemin de la prospérité, c’est drôlement plus stimulant que de se réfugier dans des doctrines éculées.

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